Des chasses aux sorcières aux féminicides / From Witch-hunts to Feminicide
by Association le Levain
French version below, followed by English version
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Version française
Sorcière. Quelles images ce mot vous évoque-t-il ?
Une victime brûlée sur un bûcher ou attaché à une chaise et submergée sous l’eau ? Une vieille femme hideuse au rire sadique ? Ou une créature démoniaque volant sur un balai ?
D'où viennent ces images, et comment concilier le portrait tout-puissant, presque mythique, de la dernière avec la figure réelle sans défense de la première ?
Au lieu de ces représentations, nous avons choisi l'œuvre du peintre mexicain Rodolfo Morales pour la couverture de l'édition hongroise du livre de Silvia Federici.
Car Federici ne raconte pas la même histoire que les créateurs de l'image de la sorcière. Elle raconte plutôt comment et pourquoi cette figure absurde de la sorcière a été créée. Et ce que les personnes traitées de sorcière menaçaient réellement : la grande transformation qui a bouleversé les rapports collectifs à partir du XVIe siècle.
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Pour lutter contre les violences faites aux femmes, il est essentiel d’en dévoiler les racines historiques. C’est ce que fait Silvia Federici dans son livre Une guerre mondiale contre les femmes – Des chasses aux sorcières aux féminicides – dont la traduction hongroise sera publiée en novembre par le Théâtre le Levain et Mérce, le plus grand site de journalisme progressiste en Hongrie.
Dans son analyse, Federici se penche sur la forme la plus extrême des violences faites aux femmes : la chasse aux sorcières. Elle étudie à la fois les exemples classiques de l’Europe des XVIe et XVIIe siècles et les exemples plus récents du Kenya, de la Tanzanie et de la Zambie au tournant du millénaire.
La chasse aux sorcières est rarement mentionnée dans l’histoire du prolétariat. Jusqu’à nos jours, elle demeure un des phénomènes les moins étudiés de l’histoire européenne ou plutôt de l’histoire mondiale, puisque les missionnaires et les conquistadors ont amené avec eux l’accusation de satanisme, qui devait servir à assujettir les populations indigènes du « Nouveau Monde ».
Le fait que les victimes, en Europe, aient principalement été des paysannes explique probablement l’indifférence des historiens à ce génocide. Une indifférence qui a frôlé la complicité, l’effacement des sorcières des pages de l’histoire ayant contribué à banaliser leur élimination physique sur le bûcher, laissant penser qu’il s’agissait d’un phénomène mineur, voire une affaire de folklore.
– écrit-elle dans son ouvrage puissant, influent et internationalement acclamé Caliban et la sorcière (2014, Entremonde, Senonevero).
Comme le commerce des esclaves et l’extermination des populations indigènes du « Nouveau Monde », la chasse aux sorcières se trouve au croisement d’un ensemble de processus sociaux qui ont ouvert la voie à l’avènement du monde capitaliste moderne.
– le souligne-t-elle dans Une guerre mondiale contre les femmes.
Dès le 16ème siècle les intérêts du pouvoir capitaliste émergeant ont dicté un vaste réalignement des priorités et des normes sociales portant un préjudice disproportionné aux femmes. Il faut souligner que ce ne sont donc pas des préjugés existants au sein de la population qui auraient conduit à des politiques discriminatoires à l’égard des femmes, lesquelles auraient ensuite été consolidées dans une législation patriarcale, aboutissant finalement au transfert du pouvoir à l’élite capitaliste masculine s’identifiant à l’esprit de cette législation. Comme pour le racisme, la xénophobie et d’autres formes de bigoterie, l’oppression s’est construite de haut en bas.
Qualifier les femmes de « sorcières » et les persécuter en tant que telles a ouvert la voie à la relégation des femmes d’Europe dans le travail domestique non payé. Cela a légitimé leur subordination aux hommes au sein de la famille et au-delà. Cela a permis l’État de contrôler leur capacité de reproduction, garantissant la création de nouvelles générations de travailleurs et de travailleuses. Ainsi, les chasses aux sorcières ont construit un ordre patriarcal spécifiquement capitaliste qui s’est perpétué jusqu’à nos jours, même s’il n’a cessé d’être ajusté en fonction de la résistance des femmes et de l’évolution des besoins du marché du travail.
L’élite au pouvoir a plusieurs moyens de faire accepter ses décisions : la violence, les menaces et la fabrication du consentement chez les personnes assujetties. L’un des éléments clés de la fabrication du consentement, outre l’amnésie historique, est le traitement isolé de divers phénomènes interdépendants, coupé du tissu des processus connexes. Les principaux canaux de transmission de la vision de l’élite sont les institutions religieuses, culturelles et éducatives. Ces institutions réussissent dans cette tâche si les opprimé.e.s – dans notre cas, principalement les femmes – intériorisent (c’est-à-dire acceptent, adoptent et transmettent) les arguments justifiant leur propre position d’opprimées, si elles admettent comme évidents les intérêts de l’élite et considèrent comme inattaquable le pouvoir derrière ces intérêts, si elles voient une structure intemporelle et naturelle plutôt qu’un processus imposé d’en haut, si elles ne questionnent pas le pouvoir et les motivations de ceux qui le détiennent.
Partenariat
En publiant ce volume, le Théâtre le Levain et Mérce luttent contre cette fabrication du consentement – tout comme ils l’ont fait avec leur première publication commune, l’édition hongroise de Working Class History (Histoire de Lutte). En exposant les structures et les méthodes d’oppression ainsi que la lutte contre celles-ci, et en présentant une analyse perspicace du passé qui alimente les réflexions sur le présent, les éditeurs ont l’intention de contribuer à façonner les actions à venir. C’est pourquoi le livre sera lancé en collaboration avec NANE (Femmes pour les femmes ensemble contre la violence) le 3 décembre, dans le cadre des 16 Jours d’activisme contre les violences faites aux femmes.
L’introduction et deux extraits du livre seront publiés sur Mérce et Tett pendant la campagne de prévente et de soutien qui se déroule jusqu’au 6 novembre. Les options de soutien comprennent l’offre d’une copie du livre aux organisations hongroises qui luttent contre les violences faites aux femmes.
Références
Consultez notre campagne de financement participatif pour l'édition hongroise de Lesbos, la honte de l'Europe de Jean Ziegler ici. Lire l'article d'Attila Piróth Convivial comme un camp de réfugiés ici (ou en hongrois ici).
Consultez notre campagne de financement participatif pour l'édition hongroise de How Fascism Works (Les ressorts du fascisme) de Jason Stanley ici. Lisez l'interview d'Attila Piróth avec Jason Stanley en anglais ici.
Consultez notre campagne de financement participatif pour l'édition hongroise de Three Plays - the Political Theater of Howard Zinn (Trois pièces de théâtre – le théâtre politique de Howard Zinn) ici. Lisez l'article d'Attila Piróth Howard Zinn, the People's Historian ici (ou en hongrois ici).
Consultez notre campagne de financement participatif pour l'édition hongroise de Working Class History (Histoire de Lutte) ici.
Publications précédentes
Vous pouvez consulter les publications précédentes du Levain ici. Vous pouvez choisir des options qui incluent une ou toutes nos publications précédentes.
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English version
Witch. What images does this word evoke in you?
A victim burning at the stake or tied to a ducking stool? An ugly old woman laughing maniacally? Or a demon riding a broom? Where do these images come from, and how can one reconcile the all-powerful, almost mythical portrait of the last one with the defenseless real-life figures of the first one?
Instead of these representations, we chose Mexican painter Rodolfo Morales' work for the cover of the Hungarian edition of Silvia Federici's book.
Because Federici does not tell the same story as the creators of the image of the witch. Instead, she recounts how and why they came up with the absurd figure of the witch. And what those treated as witches really threatened: the great transformation that completely changed community relations from the 16th century onwards.
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To combat violence against women, it is essential to expose its roots. Silvia Federici does just that in her book Witches, Witch-Hunting, and Women – the Hungarian translation of which will be published in November by Théâtre le Levain and Mérce, the largest progressive journalism site in Hungary.
In her analysis, Federici examines the most extreme form of violence against women: witch-hunts – both classical examples from the 16th-17th-century Europe and more recent ones from Kenya, Tanzania and Zambia at around the turn of the millennium.
The witch-hunt rarely appears in the history of the proletariat. To this day, it remains one of the most understudied phenomena in European history or, rather, world history, if we consider that the charge of devil worshiping was carried by missionaries and conquistadors to the "New World” as a tool for the subjugation of the local populations.
That the victims, in Europe, were mostly peasant women may account for the historians’ past indifference towards this genocide, an indifference that has bordered on complicity, since the elimination of the witches from the pages of history has contributed to trivializing their physical elimination at the stake, suggesting that it was a phenomenon of minor significance, if not a matter of folklore.
– she writes in her powerful, influential and internationally acclaimed book Caliban and the Witch (Autonomedia 2004).
Like the slave trade and the extermination of the indigenous populations in the ‘New World,’ the witch hunt stands at a crossroad of a cluster of social processes that paved the way for the rise of the modern capitalist world.
– she points out in Witches, Witch-Hunting, and Women.
The interests of the newly rising capitalist power dictated an extensive realignment of social priorities and norms that harmed women disproportionately. It should be emphasized that it was not the prejudices existing among the population that led to the discriminatory policies against women, which were subsequently consolidated in patriarchal legislation, finally resulting in power being transferred to the male capitalist elite that identified with the spirit of this legislation. As with racism, xenophobia and other forms of bigotry, oppression was built from the top down.
Naming and persecuting women as ‘witches’ paved the way to the confinement of women in Europe to unpaid domestic labor. It legitimated their subordination to men in and beyond the family. It gave the state control over their reproductive capacity, guaranteeing the creation of new generations of workers. In this way, the witch hunts constructed a specifically capitalist, patriarchal order that has continued into the present, though it has been constantly adjusted in response to women’s resistance and the changing needs of the labor market.
There are diverse means of getting the decisions of the power elite accepted: violence, threats and the manufacture of consent among the subjugated. In addition to historical amnesia, a key element in the manufacture of consent is treating various interlinked phenomena in isolation, removed from the fabric of related processes. The main channels for transmitting the elite’s interpretation are the religious, cultural and educational institutions that support or are controlled by the authorities. These are successful in their task if the oppressed accept, adopt and pass on as their own the arguments justifying their own oppressed position; if they take for granted the interests masked by the ideology and see the power behind those interests as unassailable; if they see a timeless, natural structure rather than a top-down process; if they ignore questions of power and motives.
Partnership
By publishing this volume, Théâtre le Levain and Mérce are fighting against this manufactured consent – just as they did with their first joint publication, the Hungarian edition of Working Class History. By exposing the structures and methods of oppression and the struggle against them, by presenting an insightful analysis of the past that informs reflections on the present, they intended to help shape action for the future. That is why the book will be launched with NANE (Women For Women Together Against Violence Association) on December 3, during the Global 16 Days Campaign against gender-based violence.
The introduction and two longer excerpts of the book will be published on Mérce and Tett during the pre-sales and support campaign that runs through November 6. Support options include offering a copy of the book to Hungarian organizations combating gender-based violence.
References
Check out our crowdfunding campaign for the Hungarian edition of Jean Ziegler's Lesbos, the Shame of Europe here. Read Attila Piróth's article As friendly as a refugee camp here (or in Hungarian here)
Check out our crowdfunding campaign for the Hungarian edition of Jason Stanley's How Fascism Works here. Read Attila Piróth's interview with Jason Stanley here.
Check out our crowdfunding campaign for the Hungarian edition of Howard Zinn's Three Plays – the Political Theater of Howard Zinn here. Read Attila Piróth's article Howard Zinn, the People's Historian here (or in Hungarian here).
Check out our crowdfunding campaign for the Hungarian edition of Working Class History here.
Previous Publications
You can check out le Levain's previous publications here. You can choose support options that include one previous publication of your choice or all of them.
Description of expenditure items
La somme collectée aidera à couvrir une partie de nos frais : droits de traduction, traduction, édition, conception du livre, imprimeur, etc.
Plus vite nos frais seront couverts, plus facilement nous pourrons lancer notre prochain projet de livre : la traduction hongroise de How to Be an Antiracist (Comment devenir antiracist) par Ibram X. Kendi.
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The collected amount will help us cover a part of our costs: translation rights, translation, editing, book design, printer, etc.
The sooner our costs are covered, the easier we can launch our next book project: the Hungarian translation of Ibram X. Kendi's How to Be an Antiracist.
Final beneficiaries of the collection
La somme récoltée sera reversée au Théâtre le Levain, un théâtre associatif indépendant à Bègles, près de Bordeaux.
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The collected amount will go to Théâtre le Levain, an association-run independent theater based in Bègles, next to Bordeaux.
Carriers of the project
Projet de coédition entre le Théâtre le Levain en France et Mérce en Hongrie.
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Joint publishing project betwen Théâtre le Levain in France and Mérce in Hungary.
Location of the project
FranceAbout the organization
Cette association défend une pratique artistique et culturelle de proximité, pour tous. L’association favorise en ce sens le développement de chacun et du groupe. Elle favorise également l’échange entre les différentes cultures et pratiques artistiques.
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