Vers où je ne comptais pas voyager - Cie ABAN

La terre n’a pas absorbé tout ce sang. Tout ce sang qui éclabousse. Jaillissant du dessous de chaque pierre pour que l’on ne puisse oublier que, quelque part, un innocent est mis à mort.
Shahrokh Meskoub, Le sang de Siavosh (1972)

C’est comme un patchwork de morceaux de ma vie que je n’avais jamais prévu d’assembler. Chaque fragment s’emboîte pour composer une sorte d’autobiographie en lutte pour exprimer ce qui ne peut être mis en mots. Parfois, les réalités sont muettes, non pas parce qu’elles ne devraient pas être exprimées, mais parce qu’elles se déroulent en ce moment même, ou à cause de barrières linguistiques et culturelles. Souvent, il manque des oreilles prêtes à les entendre. Il y a des choses qu’on ne peut ignorer, comme ce sang qui continue de marquer le sol.

Ce que j’entreprends, c’est une tentative de confronter l’insaisissable. En tant que comédienne et metteuse en scène, quitter l’Iran en 2019 a été un recommencement brutal, avec la possibilité d’exprimer ce qui m’était autrefois interdit. Ce point de départ a imprégné chaque partie de mon être. Entre les rêves d’hier et la réalité d’aujourd'hui, des milliers de kilomètres s’étirent. Et malgré moi, mes racines persistent ailleurs.

Je porte le poids des luttes quotidiennes d’un peuple pour la liberté. Je porte un masque. Je l’enlève. Je vis une double vie. Je me cache sur la scène. Je m’ouvre sur la scène. Je me suis fondue dans l’anonymat. Suis-je déjà là où je n'aurais jamais pensé être ?

Mon passeport
A été emporté par l’eau
Vers où je ne comptais pas voyager
Abbas Kiarostami, des milliers d’arbres solitaires

Visuel ©DR